samedi 30 octobre 2010

Le Château du dragon, de Mankiewicz - portrait de l'aristocrate en nihiliste


Il y aurait une étude à faire (qui existe peut-être déjà), sur le regard que porte Mankiewicz à toute forme d’aristocratie, et à ce qui la sépare du reste de l’humanité. Dans L’Affaire Cicéron, le valet James Mason essayait en vain de subvertir l’ordre aristocratique de la haute diplomatie (1), se heurtant à la vitre des apparences et voyant s’envoler ses ambitions comme autant de billets sans valeur. Dans Le Château du Dragon, son premier film, le rapport est inversé, au sens où l’aristocratie n’est qu’un effrayant lieu de solitude, résumé par la tour dans laquelle le personnage de Vincent Price se retire, et qui vient buter contre l’ordre démocratique. Contre le peuple des familles pieuses, des belles femmes (Gene Tierney !) et des médecins humanistes.

A partir de cette anamorphose du Patroon (propriétaire terrien de père en fils), Mankiewicz fait un véritable portait de l’aristocrate en nihiliste : hautain, athée, placide… La tour du château se dresse verticale sur un monde d’apparences, de rituels et de transmission par le sang. Dépendant à la drogue, mais surtout accroc à la nihiline (pour reprendre l’expression du maître en la matière), l’aristocrate méprise toute vie qui ne soit pas donnée par lui, tout sang qui ne fût pas le sien. Voilà quel vide habite ces grands décors gothiques, sombres et verticaux, voilà ce qui glace le personnage de Gene Tierney.

Cinématographique par excellence, ce personnage est en quelque sorte un vampire, le surnaturel en moins. Là encore il y aurait bien des choses à dire sur le transfert moderne du vampire au zombie : le vampire – monstre aristocratique et solitaire – contre le zombie – monstre démocratique et visage de la foule.

NOTE:
(1) Mais j’y pense, voici encore (après l’article de Dr Orlof et celui de Joachim Lepastier dans les Cahiers) un pont entre l’univers de Mankiewicz et le récent The Social network, de Fincher : Mark Zuckerberg s’emploie lui aussi, à travers son entreprise, à pirater les usages des clubs d’Harvard pour en faire un phénomène universel.

jeudi 28 octobre 2010

Questionnaire cinéphile 2 - La Mort au cinéma

Le premier questionnaire cinéphile auquel ce blog a contribué se trouve ici. Voici le second, lancé par l'éminent Ludovic de Cinématique.

1 - Quel est le plus beau meurtre cinématographique ?


Ces dernières années, le meurtre incertain et pointilliste de Memento.


2 - Quel est à vos yeux le cinéaste le plus morbide ?


François Truffaut


3 - Et le film le plus macabre ?


Sunset Boulevard


4 - Quel est le personnage dont la mort à l'écran vous a le plus ému ?


Christopher Walken dans The Deer Hunter


5 - Celle qui vous a le plus soulagé ?


Christopher Walken dans The Deer Hunter


6 - Quel est votre zombi favori ?


Isabelle Huppert


7 - Pour quelle arme du crime, gardez-vous un faible ?


La corde


8 - Quelle personnification de la mort vous a le plus marqué ?


Kim Novak dans Vertigo


9 - Quelle séquence d'enterrement vous a semblé la moins convenue ?


L’enterrement de Donny dans The big Lebowski - "Goodbye Sweet Prince"


10 - Quel est votre fantôme fétiche ?


Le fantôme de Mrs Muir


11 - Avez-vous déjà souhaité la mort d'un personnage ?


J’ai souhaité la mort de la plupart des personnages de Desplechin


12 - A l'approche de votre mort, si vous aviez le temps de mettre en ordre vos affaires, quel film souhaiteriez-vous avoir la possibilité de regarder une toute dernière fois ?


Un Fred Astaire ou un Lubitsch


13 - Pour quel tueur en séries avez-vous de la fascination ou à défaut de l'indulgence ?


Norman Bates


14 - Quel est votre vampire de chevet ?


Nosferatu


15 - Quel film retenez-vous parmi tous ceux dont le titre (original ou traduit) évoque la mort ?


Dead Man, de Jim Jarmusch


16 - Rédigez en quelques lignes la future notice nécrologique d'une personnalité du cinéma


Si vous n’avez pas pleuré sa mort, vous rejoignez d’autres Bosch en esprit.


17 - Quelle représentation d'exécution capitale vous a semblé la plus marquante ?


Pas la plus marquante mais la plus récemment vue : L’Echange, de Clint Eastwood


18 - Quel est votre cimetière préféré ?


Pas encore de cimetière préféré.


19 - Possédez-vous un bien en rapport avec le cinéma que vous pourriez coucher sur votre testament ?


Mon Hitchbook?

lundi 18 octobre 2010

Arizona dream, d'Emir Kusturica


Alors qu'il fabrique une rampe pour lancer dans le ciel ses avions de bric et de broc, on voit Axel (Johny Depp), le personnage principal d'Arizona Dream, planter des poteaux en se servant d'une grosse clé à molette comme d'un marteau. La mise en scène de Kusturica ressemble un peu à ça: prendre des outils et taper avec, en espérant qu'ils finiront par marcher. C'est à la fois attendrissant et horripilant. Hommage potache au cinéma américain, rêverie potiche d'adolescent, drame existentiel, morceaux de burlesque - non seulement l'harmonie n'est pas recherchée, mais Kusturica prend un malin plaisir à utiliser les genres à mauvais escient. On a la désagréable impression d'un rêve forcé.

Rien de nouveau sous le soleil de Woody Allen


You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque là rien de très original dans l'oeuvre du pessimiste joyeux qu'est Woody Allen. L'histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son patron de galeriste (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien – et qui ne sont précisément pas là pour ça – il y a comme une inconséquente variation sur l'Ecclésiaste.

La suite de l'article sur Causeur.

samedi 16 octobre 2010

Panoptique

Retenez bien ce mot, il désigne désormais tous les mois, aux alentours du 15, un tableau récapitulant les avis critiques d'une vingtaine de blogueuses et blogueurs. Les notations sous forme d'étoiles contiennent un lien vers les textes concernés. L'idée est de l'indispensable Ed, de Nightswimming. Pour accéder au tableau, il faut cliquer sur le symbole ésotérique ci-dessous.

vendredi 15 octobre 2010

Fuck me I'm facebook!


Un pub à Harvard. Le décor aux couleurs chaudes est neutralisé par une photographie trop lisse. Il y a comme une vitre entre le jeune Mark Zuckerberg et sa copine, qui est en train de lui expliquer que, plus qu'un nerd, il n'est au fond qu'un asshole. De cet événement qui nous est présenté comme fondateur par le scénario de The Social Network, c'est moins son empreinte sur le personnage qui nous intéresse (de la psychologie du geek à la petite semaine), que le mélange d'obsession et de distanciation, d'urgence et d'immobilité, de méchanceté et de sentimentalisme, qu'il va répandre dans le reste du film. La piaule d'Harvard devient en même temps lieu de retraite et lieu de conquête.

La dramaturgie semble étonnamment absente de ce film qui raconte pourtant l'accession fulgurante au rang de milliardaire d'un petit bonhomme courbé sur son clavier. David Fincher, et son scénariste Aaron Sorkin, font peu jouer les leviers émotionnels de la success story. Peut-être que raconter l'histoire à partir des scènes de procès - qui ont lieu bien après - est une manière distanciée et analytique de figer le récit de la création de Facebook. Et le film ne fera que développer cette scène originelle, dans la chambre étudiante justement, où Mark créé ivre Facematch.com, avec comme fond la musique de la soirée étudiante à laquelle il n'est pas. Dès le début, il y a le point de départ et le point d'arrivée. Dès le début il y a ce sur-place et cette atmosphère saturée d'énergie inutile. Dès le début il y a le confinement et l'ubiquité. Dès le début Facebook est créé.

Alors tant pis si le reste du film ne tient pas entièrement cette promesse et néglige certaines pistes de mise en scène lancées ici et là : nous avons toujours l'excellent acteur Jesse Eisenberg dont le jeu exprime très précisément cet équilibre improbable entre l'enthousiasme et l'impassibilité. Il nous reste aussi les gentlemen d'Harvard dont Mark est accusé d'avoir volé l'idée, et qui sont opportunément placés là, comme pour diffuser l'idée séduisante que Facebook est un grand piratage des comportements aristocratiques : la culture de club, le réseau, la causerie, le cosmopolitisme et la sacralisation des apparences.

mercredi 13 octobre 2010

White Material, de Claire Denis

Une chronique écrite pour KINOK


La comparaison est saugrenue, mais White Material a quelque chose d'un Out of Africa inversé. L'intrigue sentimentale laisse place à la déroute familiale, le volontarisme à la tragédie, l'Afrique de rêve à l'Afrique de cauchemar. Cela tient aussi probablement à l'histoire. Dans un pays africain mystérieux, Maria (Isabelle Huppert) décide envers et contre tous de continuer à gérer sa plantation de café, malgré la guerre civile qui fait rage.


Cauchemar, le récit de White material a quelque chose de décousu, comme pour signifier l'état de décomposition d'un continent africain où la violence règne, et où les guerres se succèdent sans sans aucune cohérence. Les personnages ont des gestes tantôt absurde, tantôt mystérieux. Le fil narratif commence in-situ, semble s'arrêter, puis repart, sans prévenir. Aucune indication de lieu, un vague contexte politique (le gouvernement en place contre des rebelles dirigés par « Le Boxeur »), un vague contexte familial aussi: Maria Vial, gérante de la plantation de Café Vial, et son fils Emmanuel joué par Duvauchel.


Cette absence de sens nous laisse à un univers monstrueux. Les personnages y sont soit trop transparents – la cupidité, la volonté de puissance s'étalent sur des visages exalté – soit franchement opaques – la persévérance inexpliquée de Maria, l'escapade nihiliste d'Emmanuel. Ce qui reste, ce sont des gens qui combattent, ou gagnent de l'argent comme ils peuvent.


Une réalité absurde, assez crue, qui laisse pourtant place à l'onirisme. Peut-être est-ce là le grand point fort du film: la capacité à faire de cette déroute générale un univers fantastique. La chronologie des événements n'est pas claire, la narration est frappée de narcolepsie: des séquences apparemment rêvées s'insèrent tout naturellement dans la débâcle. La tonalité lancinante de la musique des (?) n'est pas pour rien dans l'installation de cette atmosphère hallucinatoire. La guerre fait rage en silence, les corps sont engourdis par la douleur. Si la violence est feutrée, c'est qu'elle est une drogue douce, qui nous emmène tranquillement dans un état second. Même le rythme de reggae, que l'on entend parfois, a l'allure claudiquante et nostalgique d'une marche tranquille vers la mort.


Dans ce tableau macabre, la silhouette squelettique et échevelée d'Isabelle Huppert convient très bien. Il y a cette froideur, cette fondamentale absence de générosité dans le jeu de l'actrice française, (que l'on ne peut pas s'empêcher d'imaginer intellectualisant son rôle, théorisant son personnage). Cela tombe bien en un sens, car c'est comme ça que Maria se fond le mieux dans ce monde glaçant, jusque dans le feu et dans le sang. Mais quand même, on est d'autant moins sensible à la violence, à la déroute, à la guerre, que ce personnage garde et cache derrière ce visage trop blond, trop nordique (le « matière blanche en question »?) tout sentiment et toute sensation – y compris quand elle crie ou quand elle pleure.


Ne parlons même pas de Nicolas Duvauchel et de son personnage d'adolescent trentenaire. Dès le départ, on ne sait pas vraiment si c'est uniquement la crédibilité de l'acteur qui manque, ou si le personnage est trop fou pour être vraisemblant. Il est « comme un chien », dit quelqu'un. Et c'est bien vrai qu'il cabotine, fait son mini seigneur de guerre, puis termine dans une orgie de médicaments avec ses amis enfants-soldats. Soit.


En somme on arrive à un film déroutant, à un univers effrayant de violence fluide et sereine. Mais Claire Denis parvient à installer cet univers au prix des personnages, au prix de l'intrigue, au prix de la profondeur de champ – au prix de toute prise, de toute attache pour le spectateur.

lundi 4 octobre 2010

L'Homme de Londres, de Belà Tarr


L'Homme de Londres est l'adaptation d'un livre de Simenon. Le livre est très court, le film est très long. Même titre et même intrigue pourtant. Nous suivons le personnage de Maloin, un aiguilleur qui travaille à la gare portuaire. De sa cage en hauteur, il surprend un vol doublé d'un meurtre. Deux ombres se débattent, se disputant une mallette, jusqu'à ce que l'une des deux silhouette précipite l'autre dans l'eau du port, laissant l'objet convoité disparaître avec lui. Après avoir attendu un peu, notre aiguilleur descend récupérer la mallette – et mal lui en prend... Ce qu'il y a de curieux, dans cette adaptation, c'est que le livre est plus cinématographique que le film. Car quoi de plus film noir que cette intrigue? Le témoin présent sur la scène du crime, contaminé par le mal rien qu'à le regarder, quel point de départ plus cinématographique?


Lire l'article en entier sur KINOK