mardi 18 mai 2010

Judd Apatow, Funny People: le bal des clowns tristes



Chronique d'abord publiée sur Kinok

Il fallait que cela arrive : Judd Apatow nous fait le coup du clown triste. L’auteur de 40 ans toujours puceau et de En cloque, mode d’emploi – le producteur, aussi, de Supergrave ou de Rien que pour vos cheveux – a fait avec Funny People un film amer, parfois drôle, souvent triste.

Tout commence avec une troupe de trois comiques, qui à la vie sont aussi colocataires. Ils sont jeunes, viennent du même stand-up show, veulent tous les trois réussir – sur scène, à la télé ou autre. En face il y a George Simmons (Adam Sandler), un comique désabusé, ultra-célèbre, plein aux as, à qui l’on apprend qu’il a une grave maladie et que sa vie est menacée. On sent poindre déjà la dualité un peu mécanique sur lequel reposera le film : d’un côté la jeunesse, le rire, la simplicité, de l’autre la maladie, la tristesse et le superflu. Et derrière ceci, bien entendu, Apatow veut brosser un portrait ambivalent du comique : si drôle et pourtant si triste, etc.

C’est donc logiquement qu’on se retrouve avec un duo à l’écran : George Simmons et l’un des petits jeunes, Ira. Le second est payé pour trouver des blagues au premier. Paradoxalement, c’est plutôt le personnage d’Adam Sandler qui teinte l’atmosphère dans lequel les deux évoluent. Une forme de mélancolie s’installe. Au lieu de s’aider dans leurs sketchs, ils se parlent de leur passé, de leurs problèmes... Certains plans évoquent assez spécifiquement la psychanalyse, comme si l'obsession du zizi était un vecteur naturel vers un cinéma du divan.

Il est d’ailleurs intéressant de voir la manière dont l'humour régressif si typique de Judd Apatow, qui contribue à former sa troupe bigarrée de partisans, est repris sur le mode un peu triste de l'analyse. George Simmons nous raconte qu'il a "toujours voulu faire rire son père", quand Ira nous ressort les moqueries de ses camarades. Ce côté-là est franchement raté: on n’est pas là pour se farcir ceci.

C'est une voie de garage dans laquelle Apatow se fourvoie un bon bout de temps dans le film: au lieu de donner à travers la figure clown, du comique ou du foul– qui avait au cinéma et au théâtre une ascendance prestigieuse – un regard ambiguë sur le monde, il préfère nous montrer ses personnages pleurnicher sur eux-mêmes. Comme si les deux comparses n'étaient, au fond, dignes d'intérêt que quand ils cessaient d'être dans la comédie – alors qu'en l'occurrence, c'est la portée dramatique de l'humour et de l'acte de comédie qui posait vraiment question.

Il y a bien ces quelques instants de comédie relativement réussis, notamment autour des colocataires d'Ira, avec leur opportunisme assumé – encore une autre façon, peut-être, de donner un aperçu de l'envers du décor. L'ennui c'est que dans la manière dont les artistes sont montrés sur scène, il y a une façon de désamorcer les gags – de saboter toute mécanique de comédie – qui est terriblement vaine. Je crois tout simplement qu'Apatow a succombé sur ce point aux sirènes de la critique. Comme s'il ne pouvait faire un film sérieux qu'en nous confisquant la comédie.

Et c'est bête à dire, mais nous préférons Adam Sandler en personnage de Capra version retardée (Mr. Deeds), en coiffeur israëlien serviteur de ces (vieilles) dames (Rien que pour vos cheveux), ou même à la limite en idiot légèrement psychotique (Punch-drunk love), plutôt que dans cette version déprimée, qui n'est ni drôle ni fascinante. De la même manière, il y a plus d'intérêt dans les films purement comiques de Judd Apatow que dans cette sorte d'analyse sans énergie aucune, et par là sans efficacité.

Le film gagne pourtant en intérêt et en complexité quand le héros George Simmons apprend qu'il n'est pas forcément condamné. Le film tourne plus ou moins à la comédie de mœurs, voire, dans les meilleurs moments, à une ambiance de Woody Allen basique. Des filles s'en mêlent, la question de l'engagement, du sexe et de l'amour avec – et Apatow n'est pas si mauvais à ce jeu, même si tous les journalistes lui reprocheront consciencieusement d'être un peu réac sur le sujet. En fait, après avoir échoué à donner à la figure du comique un intérêt dramatique quelconque, le film reprend vaguement forme dans les trois derniers quarts d'heure, quand le sujet n'est plus la vie de comédien mais la vie tout court.

3 commentaires:

  1. Je suis d'accord. J'ai également écrit que la dernière partie du film était finalement bien plus plaisante.

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  2. Hello Tim,

    Comme tu t'en doutes après avoir commenté la chronique sur GeekCulture, moi pas être du même avis que mon très respecté Blogocollègue.

    Ce n'est pas une franche divergence d'opinion mais davantage un regard diamétralement opposé sur le film. Alors que tu le prends en Analyse This dramatique centré sur le clown triste, je le vois comme une réflexion sur l'humour. Je ne trouve pas que Apatow cherche la pitié pour son personnage. Idem, quand tu dis que le réal désamorce les gags - qui pourraient, par ailleurs, être tout à fait drôles, ça a un réel intérêt ; un choix, délibéré, de ne pas poser son film selon les classiques de la comédie ni comme les standards du dramatique.

    Pour Apatow, dont le rire est le fond de commerce, parler de l'humour comme il le fait dans Funny People, c'est pour moi sacrement couillu (comique = mégalo + égocentrique pathétique + cynique); et non, pas un choix purement démago pour séduire la critique. Il s'en tamponne de la critique puisque ces productions cartonnent.

    Dans 40 ans Toujours Puceau, il installait déjà une putain de mélancolie : tous ses persos sont plus tristes que drôles ; Funny People est dosé différemment mais le fond est le même. Peut-être naïf mais honnête.

    Par ailleurs, très belle critique, comme d'hab monsieur FsC. Je vous lâche un gaz pour ensuite vous embrasser chaleureusement. Apatow's style.
    Bises !

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  3. Nolan, j'ai lu ton article et effectivement nous disons quasiment la même chose.

    François, ce que je reproche à Apatow en fait, c'est justement de croire que la réflexion sur l'humour passe forcément par la tristesse. Ou du moins comme s'il suffisait de mettre de la mélancolie pour faire de l'humour "sérieux". Alors qu'en fait le plus précieux, ce qui nous échapppe, c'est justement le secret de l'humour en action (et non de l'humour décortiqué, désamorcé).

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