lundi 18 août 2008

The Dark Knight, de Christopher Nolan

Finis, les balbutiants débuts du Batman de Christopher Nolan. Les hésitations et faux pas du héros en devenir, celui de Batman Begins, auront fini dans l'ombre d'une envergure bien plus ample. The Dark Knight est un film long, ses développements sont déployés lentement, les uns après les autres, comme pour prendre l'élan nécessaire à un envol. Aussi le héros de Christopher Nolan n'est-il plus au ras du sol, il s'élève et survole désormais ces chemins tortueux, aux ramifications sans fin, dans lesquels se perdent les héros ambigus.

C'est, curieusement, ce qui fait que ce film ne ressemble pas à ce qu'a déjà fait le cinéaste. Où sont passées les zones de brouillard, d'indécision et d'incertitude? Que sont devenus les détails obsédants et les microcosmes qui rendent aveugle? On les avait encore dans Batman Begins: Bruce Wayne s'y agrippait pour donner du sens à sa quête de justice. Voilà pourtant, avec The Dark Knight, qu'on s'en éloigne, qu'on s'installe dans une fluidité aérienne offrant au héros le surplomb nécessaire à sa tâche.

C'est peut-être que Nolan, plutôt que de jouer comme à son habitude des petites ruptures et de la structure fragmentaire, s'appuie ici sur l'impression de continuité. Continuité à l'égard du Batman de DC Comics - avec son foisonnement de personnages - et continuité dans la tradition du cinéma. Il y a en effet ces références aux films des années soixante-dix: un Harvey Dent aux allures de Robert Redford politique façon Sydney Pollack et des réminiscences de l'Inspecteur Harry, dans ce combat contre un psychopathe terrorisant la ville - et le joker prend la fuite dans ce bus jaune qui rappelle celui de Scorpio... -- Chose amusante, la presse la plus dramatiquement française a gardé ses bons réflexes idéologiques, puisque dans sa critique le Libé a tranquillement taxé le Batman de "fascistoïde", dans son obsession de "nettoyer" la ville. Ah! --


Le thriller des seventies apporte avec lui son obsession: le complot. Seulement la conspiration, et le mensonge final, ne se jouent pas cette fois-ci du côté d'obscurs puissants tirant les ficelles, mais bien du côté de notre héros, Batman, et de ses complices, Gordon et Harvey Dent. Et c'est justement parce qu'on est du côté de la conspiration qu'on a cette vue d'ensemble, cette omniscience douteuse - Batman espionnant l'intimité de la ville au moyen de milliers de points de vue simultanés.

C'est dans la bouche du Joker que l'on entend cette vérité qui blesse: lui seul ne complote pas. Il est plutôt cette force délirante et méticuleusement chaotique. Son origine est incertaine - il attribue multiples causes fantaisistes à ses cicatrices - et son mobile est encore plus flou. Lui seul improvise et ce sont ses menaces, sous forme de petits films, qui rythment une action au bord de l'errance. Cette sacralisation diabolique du hasard transforme Harvey Dent en Pile-et-Face et oblige en réaction Gordon et Batman à asséner les notions édifiantes de Bien, de Justice, d'Héroïsme, pour sauver la ville des séquences de terreur du Joker - au prix même d'un mensonge d'état dont Batman se fait le bouc-émissaire.

Nolan prend ainsi à rebours son propre cinéma. De Batman au Joker, c'est évidemment un transfert de gravité qui s'est opéré: pour la première fois c'est la matière aveugle, la matière non inspirée qui scelle la défaite d'une moralité éthérée - une moralité aérienne tant elle peine à garder prise sur un monde en désordre.