samedi 24 mai 2008

Volver - "Nos histoires ne regardent personne..."

On en a beaucoup dit sur Almodovar et les femmes, Almodovar et la figure de la Mère. Ce qui marque dans son nouveau film, Volver, c’est la conception du cinéma qui y semble attachée, la place de ces figures dans l’économie structurelle du film. Deux dynamismes, deux mouvements se répondent pour accomplir l’oeuvre. D’abord la mort du Père. Ou plus exactement son meutre. Ensuite, le retour de la Mère, jusqu’alors niée par la monstruosité de l’inceste (élan à voir avec les yeux d’ un cinéphile et non d’un analyste.) Ce qui apparaît dans cette histoire, c’est dans un premier temps la mort, puis la conservation et l’ensevelissement comme condition nécessaire de réalisation du film - dont l’accomplissemnt est l’apparition de la mère de Raimunda. En cela, Almodovar rappelle l’aspect mortifère de tout enregistrement du réel (qui est son embaumement, sa sépulture.) Ce requiem est aussi celui de l’homme, ou du Père, pour célébrer le culte de la femme, ou de la Mère.

Il est vrai que les hommes n’ont pas bonne presse dans Volver. Avec eux, Almodovar semble vouloir rejeter quelque chose du cinéma, quelque chose de monstrueux. Comme s’il fallait soutenir la vue de l’insuportable, l’homme, pour finalement accéder à la rédemption, la femme. D’où une forme de paradoxe dans ce cinéma : une obsession pour le monstrueux qui accompagne une atmosphère de recueillement et une recherche de bonheur innocent. D’une part il y a le désir de désir, le désir perverti et régressif de l’inceste, qui est aussi le désir imposé par le cliché télévisuelle de la révélation publique (tourné en ridicule avec une pointe d’amertume dans la scène de l’émission), d’autre part il y a le retour à la mère, le retour à l’origine, le retour à l’auteur naturel et à la confession intime authentique- c’est le sens du titre Volver, « revenir » en Espagnol.

« Nos histoires ne regardent personne » confie la mère à Agustina, qui a renoncé à parler à la télévision. Domine en effet cette impression d’un cinéma intime, filmé à hauteur d’homme (de femme, pardon) tout en étant habité par une sorte de mysticisme païen. Une ramification baroque - il est tentant de dire décadente - de la politique des auteurs. Le film est bien obligé de se heurter à cette impossibilité essentielle : que faire du film si ces histoires ne regardent personne ? S’il exclut symboliquement le voyeurisme malsain de la télévision pour se replier sur la sphère de la maternité, Volver ne traite pas moins du monstrueux et de l’obsession personnelle d’un cinéaste : le nouvel épanchement d’Almodovar - auteur désormais mondialement célèbre - est bien forcé de couler dans la sphère d’un désir malsain, d’histoires qui, si elles « ne regardent personne », n’en sont pas moins regardées par tout le monde. C’est à la fois la beauté et la finitude de ce film, au sens où c’est aussi celle du cinéma.